En juillet 2018, le numéro d’été du journal CQFD publie une tribune du collectif de précaires de l’ESR de Nanterre : « à Nanterre, notre grève de précaires ». Cette tribune est particulièrement éloquente dans la mesure où elle est construite de façon à faire le lien entre les conditions des enseignants précaires et la réforme légalisant la sélection à l’Université. En expliquant les raisons de leur grève, les précaires soulignent notamment leur manque de participation dans la construction des nouvelles politiques universitaires :
« Jeunes chercheur.e.s en droit, sciences politiques, histoire ou encore philosophie, nous nous retrouvons dans une volonté commune de passer à une autre étape dans la construction du rapport de force. Non titulaires, c’est-à-dire sans poste fixe, nous assurons pourtant une mission d’enseignement tout en menant une recherche scientifique. Une partie d’entre nous s’est retrouvée exclue des rares votes à propos de Parcoursup, d’autres se mobilisaient déjà contre des charges de surveillances et de corrections de copies, non payées mais devenues monnaie courante dans le contexte des réductions budgétaires. Ensemble, fort.e.s de 68 signatures initiales de jeunes chercheur.e.s, doctorant.e.s, Ater [1], vacataires, au chômage ou sans poste, nous décidons de nous mettre en grève « pour de vrai » et de retenir les notes de nos étudiant.e.s. Nous rentrons ainsi dans la confrontation, pour montrer notre détermination à lutter contre la loi ORE et son dispositif de sélection sociale, Parcoursup, alors même que les actions menées jusqu’ici au niveau national comme à Nanterre se heurtent à la surdité de la présidence de l’université et du ministère. »
CQFD est un journal militant s’intéressant peu à la question de l’enseignement supérieur et de la recherche et ne publiant que guère d’articles sur le sujet, de leur aveu-même. Cette tribune leur permet d’ailleurs de pallier à l’absence de traitement de Parcoursup dans le journal. J’ai ainsi échangé avec Clair, membre de la rédaction de CQFD pour revenir sur la publication du travail. Clair m’explique alors que le choix s’est fait assez rapidement, et part d’une relation interpersonnelle entre un membre de la rédaction et un membre du collectif des précaires de Nanterre. Le sujet et la proposition arrivent alors en comité de rédaction et fait l’objet de réactions favorables. Quelques discussions portent alors sur les modalités de la rédaction du texte et la manière d’appréhender le sujet : est-ce qu’un contributeur du journal part sur le terrain pour réaliser une enquête et un article, ou est-ce que la rédaction laisse les membres écrire leur texte dans un format de tribune. Si un enjeu géographique est pris en compte (CQFD est basé à Marseille), Clair explique que le choix est aussi de laisser la parole aux premiers concernés, qui sont les meilleurs spécialistes du monde universitaire, et ainsi d’éviter en conséquences la rédaction de certaines erreurs par manque de maîtrise, ajoutant « le seul danger en laissant les précaires écrire eux-mêmes, c’est qu’on s’expose à un truc universitaire un peu chiant à lire ».
Cet exemple, comme ceux cités dans l’article précédent, met en lumière un certain paradoxe dans la lutte des précaires de l’ESR. Diplômés, possédant un capital social et culturel important, les jeunes chercheur.e.s trouvent les moyens et les possibilités d’échanger avec des journalistes. Ils trouvent les moyens d’accéder aux lieux où leurs discours peuvent être relayés. Ces ressources ne suffisent toutefois pas. La volonté des journalistes de faire attention ou non à ces discours est un premier frein. Pour CQFD, Clair m’explique que chaque sujet part souvent d’une initiative individuelle. Le sujet est validé par l’approbation d’autres membres du comité de rédaction et par le silence des derniers membres. CQFD n’a pas de rédacteur en chef. Les choix de ces derniers dans d’autres journaux pèse forcément sur le travail du journaliste, comme chez Educpros. Ensuite, une fois que les journalistes relaient et s’y intéressent, le relais est au final toujours relativement mince. Dans notre échange avec Clair, nous évoquions la complexité des statuts et des situations pour les personnes extérieures à l’ESR. C’est peut-être là une piste d’explication, sans doute insuffisante, en tout cas, insatisfaisante. L’article du monde, comme la tribune de CQFD ont été peu relayés. Encore une fois et malgré un intérêt visible dans certains médias, le problème ne se transforme guère en problème public.
La tribune : à Nanterre, notre grève de précaire.